Je suis en train de lire le
White de Bret Easton Ellis qui vient de sortir. Ce n'est pas inintéressant, mais comme d'habitude avec cet auteur, c'est interminable : il étale en bouquin la matière d'un article, comme
American Psycho étirait en roman la substance d'une nouvelle.
Mais il y a une horreur véritable : la traduction. Ça coûte 21,50 euros chez Robert Laffont, et on dirait un travail de stagiaire de 3e. Ce n'est pas seulement le style, sorte de 1er jet bâclé à toute vitesse et relu par personne, à la grammaire déficiente et d'une telle lourdeur que c'est parfois à la limite du compréhensible. C'est la traduction au mot à mot dans laquelle transparaît l'anglais (un Américain peut ponctuer une affirmation par "I know what it looks like", un Français ne dit pas "je sais à quoi ça ressemble" ; "I have a thing for them" ne peut pas se traduire par "J'ai un truc pour eux" !! C'est Colissimo qui a "un truc pour vous" !!) Ne comprenant rien à l'anglais, ou rien au français, l'auteur traduit "Obama administration" par "administration Obama", "liberal" par "libéral" (de sorte que certains paragraphes n'ont tout simplement aucun sens), il parle d'ISIS et pas de l'EI, il rend "my stereo" par "ma stéréo"... et c'est comme ça à toutes les pages.
Il y a très peu de notes de bas de page. Si vous savez ce qu'est la politique "Don't ask, don't tell" de l'armée américaine, tant mieux pour vous. Sinon, tant pis. En traduction post-moderne, on n'est pas tenu de donner les clés de compréhension des essais politiques, apparemment.
Le seul effort du traducteur a été de chercher sur Internet le titre français des innombrables films cités par Ellis : quel dommage qu'il n'en ait pas profité pour lire le résumé, il aurait su que, dans
Mondwest, ce n'est pas Yul Brinner qui est traqué : c'est lui qui traque.
Le traducteur est coupable : il fait des fautes qui sont inacceptables, même au premier jet (là, c'est le professionnel qui parle). Il n'est cependant pas forcément le seul coupable : ce bonhomme s'est fait sa page Wikipedia (dans la catégorie littérature et linguistique, sans rire) et il y affirme traduire 8 à 12 bouquins par an. Si c'est du je-m'en-foutisme ou de l'arrogance ("j'en suis parfaitement capable"), c'est pitoyable d'amateurisme. S'il y est contraint pour pouvoir payer son loyer, l'industrie porte une partie du poids de ce désastre.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est une honte pour Robert Laffont de vendre un torchon pareil.
PS : Ce qui me fait penser : vous connaissez le site de l'ami Matt sur les mauvaise traductions de jeux vidéo ?
localizarbi.wordpress.com/2011/05/08/l-a-noire-1re-partie/