[L’intervieweur] [L’auteur]
— Alex, bonjour.
— Bonjour… heu… ?
— Alex.
— Ah oui, Alex. Il y a comme un écho ici, non ?
…
— Pour commencer en douceur cette interview, veux-tu bien nous parler de toi ?
— Eh bien, j’ai traîné au lit aujourd’hui. Ensuite, je suis sorti, j’ai sauvé un bébé des griffes d’un tigre et je suis allé manger. Une matinée normale en somme.
— Vraiment ?
— Oui.
— Et tu as mangé quoi ?
— Une pizza.
— Bon choix. Mais ce n’est pas exactement ce que je voulais savoir. D’où viens-tu ? Quelles sont tes origines ?
— Je suis né durant une terrible tempête, dans une prairie verdoyante de l’Arizona.
— Il y a des prairies dans l’Arizona ?
— J’ai dit l’Arizona ? Je voulais dire les rives du Mississippi.
— Tu es venu au monde sur l’eau ?
— Oui, sur une embarcation rudimentaire en compagnie d’indigènes, entouré par des piranhas affamés.
— Hum. Il y a-t-il quelque chose de vrai dans cette histoire ?
— Oui.
— Laquelle ?
— Je suis bien né.
— Et en dehors de cette imagination fatiguée, comment en es-tu venu à écrire ?
— C’est le moment où je suis censé m’allonger sur le divan ?
— En quelque sorte.
— Je dois ôter mes vêtements également ?
— Pourquoi les femmes ne me posent jamais cette question ?
— Tu dois les intimider.
— Tu es doué pour détourner les questions, bravo. Mais réponds-moi maintenant !
— Chaque humain en ce monde a besoin d’un exutoire. Pour certains, il s’agira du sport, de la télévision ou du shopping, d’autres des soirées mondaines et des mannequins, etc. Les derniers restants tomberont dans la drogue.
— Tu veux dire que l’écriture est une drogue pour toi ?
— Quand elle vous prend aux tripes, quand le besoin d’écrire se manifeste avec violence comme une main tremblante sur une bouteille de whisky, une main fébrile sur un paquet de clopes, une main moite sur le corps d’une femme, dans ce cas oui, elle est une drogue. Mais il y a des drogues salvatrices. Avec le recul, j’ai l’impression que l’écriture m’a sauvé la vie, littéralement. Je ne me suis jamais senti à ma place ici, sur Terre (moi devoir « téléphoner maison »). Et la société n’a cessé de me rejeter, comme tant d’autres d’ailleurs. Enfant, je me suis retrouvé seul avec quelques jouets en plastique et une imagination qui appelait à se développer. Adulte, j’étais toujours seul, sans travail, sans soutien amical, amoureux ou familial, seul avec mes regrets, mes remords et mes rêves estompés, seul avec mes démons, avec mon envie d’en finir pour de bon, seul avec ma plume. Et j’ai écrit, encore et encore. Chaque refus et critique assassine reçus par la suite me faisaient d’autant plus mal que ma vie était vide de sens, vide de tout, pourtant j’ai continué. Aujourd’hui, je me sens mieux avec moi-même et le monde qui m’entoure, mais je ne pourrai cesser d’écrire définitivement, car les mots sont devenus mes meilleurs ennemis.
— Ta nouvelle évoque plusieurs aspects de la culture japonaise. C’est une de tes passions ?
— Oui, je m’y intéresse depuis pas mal d’années déjà. En fait, j’aime tout ce qui s’éloigne de notre société actuelle, de ses valeurs ou plutôt de son absence de valeurs puisque son seul principe est : « consommer » ; mot qui sonne, à juste titre, comme une insulte. Le bushido possède de nombreux principes essentiels qui sont malheureusement aujourd’hui oubliés de tous ou presque, en particulier le respect et la loyauté. Cette nouvelle est, je l’espère, un moyen détourné de les faire connaître à un public francophone. La plupart des Français ont été élevés à la culture McDo, à cette idée de consommation facile et rapide. Du coup, la plupart d’entre eux sont totalement hermétiques aux cultures profondes, vertueuses et philosophiques. Les générations actuelles ont un goût prononcé pour le vice, la gloire et, bien sûr, le Saint Graal des temps modernes : l’argent. Allez leur parler d’honneur et ils le confondront avec l’orgueil. Allez leur parler de fidélité et ils assimileront aussitôt ce mot au sexe, comme si la fidélité ne devait régner qu’au sein du couple… 47 n’est pas qu’une simple histoire de samouraïs, c’est tout un symbole pour les Japonais et pour moi.
— Tu sembles nostalgique d’une époque que tu n’as pas connue. N’es-tu pas un peu fou ?
— Oui, je suis parfois nostalgique d’un passé où je n’étais pas né. Je suis un doux dingue, le genre trop lucide sur l’espèce humaine et sa décrépitude intellectuelle. Mais les vrais fous sont ceux qui s’ignorent, ceux qui nous entourent quotidiennement, en permanence, ceux qui se croient « normaux ». Eux, ils me font vraiment froid dans le dos.
— As-tu un don particulier hormis cette lucidité que tu viens d’évoquer ?
— Plus lucide que lucide ?! Il m’arrive d’être extralucide !
— Sérieusement ? Alors combien de doigts ai-je dissimulés dans mon dos ?
— Quatre.
— Trop fort ! Et maintenant ?
— Sept.
— Incroyable !
— Je sais.
— Et un défaut singulier ?
— Je crois que je suis en train de devenir schizophrène.
— Le mot de la fin ?
— Fin.
— Merci Alex. Ce fut un moment très agréable. Je te souhaite une longue carrière d’auteur inconnu.
— Oh, merci, si seulement tout le monde pouvait être aussi sympathique que toi…
— Mais tout le monde te souhaite de rester inconnu.
— Pas faux.