Et inversement, je crois que nous nous sommes bien complétés ! Ce travail sur l'anthologie a été si instructif pour moi que mon style en a changé. Pas en profondeur, mais réellement : je n'écris plus de la même façon.
Pour les traductions de jeux vidéo, il y a deux facteurs majeurs : d'abord, naguère, on avait un peu de temps et on commençait la traduction quand la VO était enregistrée. Aujourd'hui, tout se fait en même temps : on commence à traduire alors que le texte anglais n'est qu'un brouillon, on commence à enregistrer alors que les acteurs de la VO ne sont pas encore sortis du studio, même quand on travaille en synchro labiale (oui, mesdames et messieurs, dans le jeu vidéo, on fait de la synchro labiale sans lèvres). C'est dû au mépris qu'ont les décideurs pour le travail de développement, et au mépris des développeurs pour tout ce qui n'est pas développement. Tout se fait donc toujours à toute vitesse, et rien de ce sur quoi on travaille n'est jamais fini. Il arrive qu'on reçoive la fin de ce qu'il y a à traduire après la sortie officielle du jeu : ce sera pour les patchs.
L'autre problème, bien sûr, c'est la financiarisation de l'industrie, qui crée des situations intenables (si vous vous intéressez un peu à la cuisine des jeux vidéo, vous avez entendu parler des crunchs depuis deux ou trois ans, des scandales que ça crée, des séries d'articles dans la presse spécialisée, de la grave crise sociale qui commence à mijoter et dont les dirigeants ne semblent pas prendre conscience.)
Par ailleurs, dopée par l'informatisation (la fameuse Traduction Assistée par Ordinateur, qui est une gigantesque blague), les structures de localisation deviennent de grosses multinationales sans traducteurs internes, dont le but est uniquement de récupérer du travail, pour le déverser ensuite à des externes sans contrat et mal payés (qui ne savent donc pas faire le boulot, n'ayant jamais été formés, et n'en ont rien à foutre - et pourquoi en auraient-ils quelque chose à foutre ? On ne les paie qu'à peine, pendant que ceux qui leur délèguent le travail avant d'aller glandouiller dans des réunions avec leur café noisette double saveur corsée ont un contrat et de solides salaires). Nous sommes, en France, dans cette industrie, la dernière boîte composée de traducteurs internes en CDI. Cela permet d'avoir des gens plus motivés et très expérimentés, au point que certains gros clients viennent nous voir pour ça, pour avoir du pain frais et pas du décongelé industriel (Sony, par exemple : l'ami Matt a supervisé la traduction de Dreams, elle est impeccable !) C'est pour ça aussi que nous refusons de passer sous les fourches caudines des clients qui veulent nous contraindre à exploiter à leur profit des prolétaires de la traduction. C'est non, et on coulera la boîte plutôt que de fonctionner comme ça.
Désolé, j'ai tenté une explication aussi neutre que possible, mais ça n'est pas moi qui suis politique, c'est l'idéologie des dirigeants des grands noms du développement du jeu vidéo en occident : très hauts salaires et dividendes au sommet de l'échelle, croyance dans la TAO qui les conduit à faire appel à des multinationales de la traduction qui n'ont en interne que des chefs de projet, lesquels ne servent objectivement à rien en traduction, mais absorbent la plus grosse part de la masse salariale, ce qui prolétarise inéluctablement le traducteur de base, et appauvrit considérablement les traductions.
Bref, dans la traduction, c'est comme partout.