La pêche est toujours bonne. On se réveille un peu en avance, on se met un petit Karlowicz au casque en attendant d'aller se raser, et on feuillette le site de Gallimard. Aussitôt, on tombe sur les premières pages de
La Citadelle, d'Eric Metzger.
"Il faisait partie de cette masse d’étudiants hantant les belles bibliothèques parisiennes du matin au soir, l’haleine pourrie de café, les yeux abîmés et le corps rempli de poussière. Depuis son entrée à la Sorbonne, Émile n’avait pris ni le temps d’aimer, ni même celui de vivre, trop accaparé par ses études."
Le tout n'est qu'un gros cliché de littérature de gare, écrit comme de la littérature de gare, à l'exception, audacieuse mais nanarde, du "corps rempli de poussière", qui assimile soudain les étudiants à des aspirateurs. On prend au pif et on tombe, 2 fois sur 3, sur des trucs de ce calibre. On n'est jamais déçu.
D'ailleurs, j'ai décidé d'essayer, moi aussi. J'ai pris un peu de recul ce mois-ci pour souffler : 15 jours de vacances (les premières depuis... 2001 ?), autres lectures que d'habitude (la correspondance de Ravel), autres films que d'habitude (
Jurassic World - sérieux, on nous prend un peu pour des cons, non ?), et pas une minute d'écriture SFFF (de toute façon, j'attends divers retours pour continuer
La Compagnie du jour).
Dès lors, je me suis dit que l'occasion était parfaite d'expérimenter ce genre de blanche, à mon tour. J'ai donc défini un cahier des charges de très basse intensité (roman court, pas plus de 250000 sec, chapitres brefs, psychologie très compréhensible, vocabulaire simplifié, une seule histoire et aucune couche supplémentaire de réflexion, aucune fantaisie formelle : bref, l'exact contraire de la complexité que je me suis efforcé d'atteindre avec
Les Chasseurs noirs et
Téra-République). Bien sûr, un sujet saignant : la blanche aime bien compenser son manque d'ambition formelle et psychologique en se jetant sur des thèmes racoleurs. Cela dit, une fois défini ce ce cadre
très édulcoré, je m'efforce de faire du bon travail. Vous connaissez la saillie de Debussy sur la symphonie avec orgue de Saint-Saëns : "Comment peut-on écrire aussi bien de l'aussi mauvaise musique ?" J'essaie d'écrire bien de la mauvaise musique.
J'ai réfléchi à mon intrigue le 6, j'ai commencé à rédiger le 7, j'y passe environ une heure par jour, et j'ai presque écrit la moitié (110000 sec). Tout compris, écrire ce roman devrait me prendre 6 semaines, révision comprise. J'en ressors deux choses : pondre ce genre de trucs, ce n'est vraiment pas fatigant, et ça donne furieusement envie de se remettre à l'imaginaire ! Si un jour vous êtes en panne sèche, écrivez un Prix Renaudot : le goût des batailles, de l'épopée et des robots vous reviendra illico !
En attendant, je m'amuse, ce sera une expérience pas crevante de moins de deux mois, ça me vide bien l'esprit (rien de tel que fixer un mur blanc pour chasser la migraine) et, bien sûr, mes collègues de bureau m'encouragent vivement (et ironiquement) à finir ce qu'ils appellent "mon Darrieussecq", ce qui nous vaut des échanges de blagues assez joviaux à la pause.
Je vous tiendrai au courant, si je vais au bout. Pour le moment, ce livre (le plus mauvais que j'ai écrit, sans doute même plus que
Le Roi de la colline qui s'adresse aux 11-12 ans) s'intitule
Le sang des gosses. Ah oui, c'est putassier, mais pas autant que le roman lui-même (même si, une fois mon intrigue choisie, je m'efforce de traiter mon drame, que certains ont réellement vécu dans leur chair, avec un maximum de dignité, d'empathie et de compassion).
Vous noterez que je ne vous fait pas part de ces travaux dans le fil sur mes projets personnels, mais sur celui consacré à la Grande Littérature. C'est tout dire !