Bonus DVD !
Voici les deux premiers paragraphes de mon immense roman de Vraie Littérature. Je ne dis pas que j'écris bien d'ordinaire, mais là, vous verrez qu'on vole bas. Vous verrez aussi que j'ai échoué à imiter vraiment les Auteurs Importants, comme je vous le prouverai ensuite avec deux/trois "à la manière de" reprenant les mêmes paragraphes, mais "comme il faut" (soyez indulgents, j'ai bâclé ça pendant le sandwich, les clients sont sur les dents...)
Votre serviteur
Demain, c’était juin ; pourtant il faisait presque froid et la lumière perçait mal le matin gris. Le soleil surplombait déjà les immeubles, mais terne, mat, étouffé par la brume, il était du jaune pâle des œufs trop cuits.
Au fond, c’était mieux : les enfants étaient à l’école, les étudiants répartis dans les cafés et les amphis, les adultes pressaient le pas. Le square était presque désert, or Stéphane n’avait jamais retrouvé le goût des foules. Il attendait donc tranquillement sur son banc de pierre, pas vraiment anxieux, la tête trop vide pour s’inquiéter, et il expirait lentement pour voir se disperser devant lui son souffle blanc, les mains dans les poches de son blouson, un peu voûté pour rentrer le cou dans le col relevé. Une attitude de gosse, peut-être, mais personne ne s’y serait trompé : c’était un homme jeune, sportif, solide, pas un adolescent. Ses cheveux courts ne bouclaient plus, trois jours de poils durs durcissaient ses joues et son menton.
À la manière de Pascal Quignard
Le soleil s'est levé avec le matin. Pourtant, il fait encore un peu froid.
L'homme est dans le parc. Il est assis sur un banc. Devant lui, il y a une statue de joueur de violon. Un homme passe entre les parterres d'azalées, vêtu d'un imperméable gris. Plus loin, il y a un bassin. Des gravillons l'entourent. Il y a des chaises de fer.
L'homme attend. Il ne sait pas si la personne qu'il doit voir viendra. Il regarde l'heure inscrite sur sa montre. Il recommence à attendre. Il hausse les épaules. Il n'aime pas les joueurs de violon. Il préfère la viole de gambe.
À la manière de Marie Darrieussecq
Je ne sais pas pourquoi, je me croyais en novembre, comme lorsque mon patient s'est suicidé. Ce patient, je l'appelais Machin, celui qui avait le complexe du survivant, je sais plus si je vous en ai parlé, c'était un homme qui avait fait des tas de métiers, plombier, etc. Il avait survécu à une explosion de chaudière, boum ! et il se demandait pourquoi et il voulait pas en parler. Il me disait que je parlais trop, que je jacassais.
Bref. Où j'en étais. Novembre. Non, en fait, c'était juin. Dans un parc. Un homme passait, avec ses grosses bottes en caoutchouc, plotch, plotch, sans pouvoir camoufler sa dissociation affective latente. Comme un chat que j'avais quand j'étais petite, avec une fourrure marron et blanche et un complexe d'Œdipe mal résolu. Il était à mon frère, en vrai, mais il s'en occupait pas parce qu'il préférait jouer aux jeux vidéo, pfiou, pfiou, pfiou ! Des tas de jeux différents, avec des fusils, etc. Alors c'était moi qui m'occupais de Poucette (elle s'appelait Poucette, mais moi je l'appelais Poussette. Ah !)
Bon. Qu'est-ce que je disais. Oui, j'attendais dans un parc. Comme les patients dans une salle d'attente. Sauf que les patients font rien, dans les salles d'attente, alors que moi j'écris avec mon portable. Plic plic plic !
Parfois, d'ailleurs, je me demande si j'écris trop.
À la manière de Pierre Jourde
C'était un petit matin froid et dur de janvier, ourlé de nuages noirs voûtant sur une masse compacte de banlieusards tristes, isolés, comme perdus sans le savoir dans une hébétude intérieure, profonde, qui les isolait tous un peu et soulignait pourtant un être différent, à la fois plus lointain et plus accessible.
J'étais arrivé au parc à l'heure, mais je savais que ce ne serait pas son cas. Se replonger dans une vie d'attente, de rendez-vous, de retards et de lapins, me permettait de réaliser combien chacun réagit aux rencontres avec un bloc d'affects et de tendances découpé dans la masse plus ou moins consciente de nos souvenirs et de nos épreuves.
J'attendais sur le banc et je ne voyais de l'homme qui passait que l'esquisse d'un regard, un teint blême de spectre urbain, un aperçu d'épaule engoncé dans un imperméable. J'attendais, comme j'avais souvent attendu dans ma vie. Ce que j'ignorais, mais qu'il fallait que je dise plusieurs fois à l'avance dans ma narration pour appâter le lecteur naïf, c'était que cette rencontre serait différente.
Elle me ferait comprendre combien proche est le centre et loin la périphérie du mal.